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mercredi 15 novembre 2017

Les mots poignants adressés à la France par Salah Hamouri, avocat franco-palestinien depuis la prison du Néguev
















« J’ai ressenti une étrange sensation, lorsque, le 23 août, aux alentours de 4h30, si je me souviens bien, j’étais tiré de mon sommeil par des bruits sourds. Quelqu’un s’acharnait sur la porte de mon appartement et appuyait nerveusement sur la sonnette à répétition. Je me suis dit que je connaissais ce type de vandalisme, mais dans les toutes premières secondes, je pensais qu’il s’agissait d’un rêve.

Je vis dans un bâtiment de six étages, à Jérusalem-Est. Chaque étage est composé de deux appartements. Les soldats et leur commandant ne savaient pas exactement dans quel appartement je vivais, alors, ils ont frappé brutalement à chaque porte. J’ai alors eu une pensée pour mes voisins, tous réveillés en plein nuit par les soldats terrorisant chaque famille. Je pouvais entendre des enfants pleurer.

Les soldats n’ont pas cessé de frapper sur ma porte jusqu’à ce que je finisse par ouvrir, encore engourdi par le sommeil. Le premier soldat que j’ai vu portait une cagoule. Je ne pouvais voir que ses yeux remplis de haine. Il m’a alors hurlé dessus, me demandant ma carte d’identité. Après vérification, les soldats présents ont appelé du renfort, en criant qu’ils avaient trouvé la personne qu’ils cherchaient.

A la seconde où j’ai compris que la force occupante venait bien pour moi, mon cerveau m’a envoyé un ordre clair : « Une nouvelle bataille commence là pour toi, cet ennemi ne doit pas te vaincre une seule seconde ». Ils m’ont forcé à m’asseoir sur une chaise et trois soldats m’entouraient, leurs armes pointées sur moi. Pendant ce temps-là, leurs collègues ont fouillé tout l’appartement, bouleversant les meubles, les livres, les vêtements… Je les sentais fébriles, ils s’énervaient, ils ne trouvaient rien de ce qu’ils cherchaient dans cet appartement.

Le commandant a fini par donner l’ordre de repli. Ils m’ont alors ordonné de m’habiller pour partir avec eux. En marchant vers la porte d’entrée de mon appartement, avant d’en sortir pour une durée qui m’était inconnue, je fixais la photo de mon fils accrochée au mur. Dans son regard, j’ai puisé de la force pour affronter les durs moments qui m’attendaient. Je l’imaginais me dire « Papa, sois fort, on sera vite réunis tous les trois ».

Je lui promettais alors de rester fort et de ne jamais donner l’occasion à cette occupation de nous confisquer notre humanité et de détruire notre vie, comme elle s’acharne à le faire. Ils me bandèrent ensuite les yeux et me conduisirent dans une voiture blindée. La marche vers ce nouveau destin commençait. Une marche pénible vers un monde que je ne connais que trop bien. Un monde dans lequel nous devons rester forts, humains et garder notre sourire en toute circonstance. Une nouvelle fois, je suis conduit dans ce véhicule blindé vers l’endroit le plus sombre et le plus misérable pour un être humain : une prison de l’occupant.

En arrivant dans la prison du Neguev, après deux semaines passées dans le centre d’interrogatoire, tout me semblait tristement familier. Je suis rentré dans la section 24, j’ai vite reconnu les visages que j’avais quittés il y a quelques années. Je n’ai pas su quoi leur dire, j’étais soudainement impressionné de les retrouver ici.

Parmi eux, certains sont derrière les barreaux depuis plus de quinze ans. Ils me questionnaient et je ne savais pas quoi leur répondre. « Qu’est-ce qui est arrivé, pourquoi es-tu là ? ». Je n’avais pas les réponses à leurs questions. Pas plus que je n’arrivais à leur parler de l’extérieur, eux, qui sont là depuis tant d’années. Que faisons-nous pour eux, pendant qu’ils paient le prix de leur lutte ? En les retrouvant, je me demandais si j’avais assez agi pour parler d’eux à l’extérieur. On a ensuite énormément discuté. Un détenu m’a dit « Ah, tu es de retour, on va parler de nous en France alors ! ».

J’ai réalisé alors que, malgré ma nouvelle privation de liberté, je n’avais aucun doute sur le fait que la mobilisation allait se mettre en place en France, c’est un véritable espoir pour moi et pour eux.  J’ai pensé à toutes les personnes qui avaient déjà lutté pendant ma première incarcération et depuis, toutes celles et ceux que j’ai rencontrés en France et en Palestine. Aucun doute qu’ils seraient tous à nouveau au rendez-vous pour dénoncer l’injustice qui nous frappe.

Et des éléments que je reçois par fragments, je sais que vous êtes même plus nombreux que la dernière fois ! Des personnalités que j’apprécie, des élu-e-s, des citoyen-ne-s en nombre, plus nombreux encore, vous vous êtes mobilisés pour dénoncer  l’injustice, l’arbitraire et pour exiger ma libération.

Je vous en remercie très sincèrement. Je veux vous dire aussi que je serai digne du soutien que vous m’accordez. On ne marchande pas la liberté même si on la paie parfois très chère. Ce n’est pas une question d’entêtement mais de dignité et de principe : pour la liberté je ne lâcherai rien. Le peuple palestinien, comme tous les autres, ne veut pas vivre à genoux.

Et quelle force cela nous procure que de savoir que, vous aussi, vous n’avez pas l’intention de lâcher. Cela, l’occupant ne le mesure pas. Moi je le ressens au fond de moi. Et c’est pourquoi, même quand il pleut, je pense au soleil qui vient… ».

Salah Hamouri
Novembre 2017, prison du Néguev, section 24

mercredi 8 novembre 2017

A Riss : Les insultes ne salissent que ceux qui les profèrent !


Dire aux Musulmans qu’ils ont à présent un sixième pilier dans leur religion et que ce pilier est un sexe en érection, c’est effectivement leur déclarer la guerre, mais c'est aussi les humilier gratuitement, gravement et pour longtemps !


mardi 7 novembre 2017

Praud, Rost et Evra : c’est pire que ce que vous pensiez !


C’est une séquence extrêmement intéressante - du moins à analyser - que nous a offerte CNEWS ce vendredi 3 novembre 2017. 
L’inénarrable Pascal Praud, animateur du 20h foot, recevait Jacques Vendroux, directeur des sports de Radio France, Cyprien Cini, journaliste chez RTL, Fabien Onteniente, réalisateur, et Rost, artiste et militant, pour une émission dédiée aux “dérapages” de Patrice Evra.



Après quelques minutes d’introduction et de rires, le débat s’ouvre. Rost, présenté dès le début comme « l’avocat de la défense », va tenter de contextualiser, sans forcément l’excuser, le coup de pied asséné par Evra à un supporter de l’Olympique de Marseille. Pour lui, cet accès de violence doit se lire, entre autres, à la lumière d’une carrière marquée par l’expérience quotidienne du racisme et des insultes négrophobes. Mais sur le plateau, l’artiste n’aura pas le temps de développer cette thèse. À peine le mot “raciste” est-il prononcé que Pascal Praud, censé incarner la neutralité, entre dans une colère noire - enfin blanche, pour le coup.
Cet extrait a fait le tour du web et a été largement commenté par de nombreux internautes et journalistes qui se sont focalisés sur la partie la plus spectaculaire de la “disjonction” du présentateur. Pascal Praud a “pété les plombs”, il a “hurlé”, a “agressé” un chroniqueur qui voulait simplement évoquer un contexte raciste. Oui, tout à fait, et en plus d’être souligné, cela devrait être vivement dénoncé. Mais la séquence prise dans son intégralité nous offre la possibilité d’aller bien au-delà et de décrypter les mécanismes de résistance, des plus subtils aux plus grossiers, qui se mettent en place à chaque fois que la question raciale est abordée ; des mécanismes favorisés par un dispositif médiatique qui étouffe les voix minoritaires. Pour cette seule émission, nous en avons relevés 7 !
7 réactions typiques que provoque toute tentative de discussion sur le sujet.


1. « Arrêtez de tout ramener au racisme, c’est obsessionnel chez vous. »


C’est le classico des mécanismes de résistance et des techniques de silenciation ; partout, tout le temps, par tous ceux qui ne veulent pas ou ne sont pas prêts à entendre parler de racisme. Cette injonction relève tellement de l’idéologie dominante que si Pascal Praud ne l’avait pas exprimée en sortant de ses gonds, la séquence serait passée inaperçue. À ce titre, notons - non sans une certaine ironie - que parmi les personnes qui se sont indignées du comportement du présentateur de CNEWS, nombreuses sont celles qui sont pourtant habituées à réclamer qu’on évite de “sortir la carte du racisme à tout bout de champ”. Bien plus que le fond de l’affaire, c’est la forme de la “disjonction” qui a suscité l’indignation.
Qu’est-ce que tout cela révèle ? D’abord, une incompréhension totale de ce qu’est le racisme et des effets qu’il produit. Pour Pascal Praud, ses acolytes, et une grande partie de leurs concitoyens, le racisme ne se conçoit que dans ses formes les plus bruyantes, visibles, brutales et interpersonnelles. Pour que cela soit un sujet, il faut qu’il y ait eu insulte, coup, agression ou discrimination manifeste mais surtout, que le caractère raciste soit clairement établi, de préférence par une figure d’autorité “neutre”, “objective” et “rationnelle” (par un homme blanc quoi). Or, évidemment, le racisme faisant système et apparaissant sous des formes particulièrement insidieuses, il n’est pas toujours aisé de le déceler. Il se niche dans les recoins de l’école, au travail, dans l’accès à des opportunités et des services, dans le partage des ressources, les productions et représentations culturelles, le traitement médiatique, les relations amicales, professionnelles, intimes mais aussi celles avec les institutions et administrations.
De même que c’est le racisme, pas ceux qui le combattent, qui produit la race, c’est le racisme, pas ceux qui le dénoncent, qui se “ramène à tout bout de champ”. Il marque ses victimes, dans tous les sens du terme. Rost a tenté de parler de l’impact psychologique de ce marquage systémique et systématique. Il faut, en effet, imaginer ce que c’est que de subir des attaques racistes, et en l’occurrence négrophobes, visibles et invisibles, tout au long de sa vie. Et si Pascal Praud a le luxe de pouvoir considérer que c’est une contextualisation accessoire, pour des millions de personnes en France, c’est loin d’être le cas.
Mais qu’importe, les hommes blancs autour de la table ont décidé que ce n’était pas le sujet. C’est l’autre versant de ce classico. L’injonction à ne pas “tout ramener au racisme” doit aussi être interprétée comme une invitation à ne pas sortir des cadres définis par (et pour) les bénéficiaires du système raciste. C’est un sujet “sensible” pour eux - l’adjectif est d’ailleurs utilisé à plusieurs reprises par Jacques Vendroux et Pascal Praud (ouais, je sais, le monde à l’envers) - il conviendrait donc de respecter les temps qu’ils aménagent pour en parler. Contrevenir à ses règles, c’est s’exposer à des accusations de “paranoïa”, de “racialisation” et/ou de communautarisme.


2. « Ton ami, Patrice Evra »


Forcément, un homme noir qui parle d’un autre homme noir, qui plus est pour le défendre, c’est du communautarisme. Cette allusion prend deux formes différentes. À la 15e minute d’abord, sans que l’on comprenne bien pourquoi, Pascal Praud commence l’interrogation suivante : « est-ce qu’il est possible d’arrêter que les communautés en France... ». Nous n’en saurons pas davantage. Rost, à qui la question est adressée, l’interrompt et lui explique que ce n’est pas le sujet. Mais quelques secondes plus tard, Fabien Onteniente, qui a sûrement deviné l’orientation du propos, ne peut s’empêcher de le commenter : « Pascal, faut pas que ça devienne un débat sur le communautarisme…vous avez saisi la balle au bond, doucement. » Bah oui, doucement Pascal. Parce que demander à Rost, seul homme noir du plateau rappelons-le, de répondre des actions et revendications de toutes les communautés (de quelles communautés parlons-nous d’ailleurs ?) et de se justifier pour elles, ce n’est vraiment pas le meilleur moyen de faire disparaître les débats sur le racisme. Au contraire.
La deuxième allusion à ce prétendu communautarisme, c’est à Jacques Vendroux que nous la devons. À deux reprises, le directeur des sports de Radio France utilise le qualificatif « ton ami » (10’43) pour parler de Patrice Evra à Rost. Problème, l’artiste explique qu’il ne connaît pas personnellement le footballeur et qu’il ne lui a même jamais parlé. De deux choses l’une donc : ou bien Jacques Vendroux estime que toutes celles et ceux qui ne sont pas d’accord avec lui sont forcément des “amis” d’Evra, ou bien il a décelé un lien particulier entre les deux hommes. Et étant donné que comme tout bon républicain qui se respecte, Vendroux ne-voit-pas-les-couleurs, on ne peut que s’interroger sur la nature de ce lien.
Ce qui est intéressant avec cette réaction, elle aussi régulièrement utilisée pour tenter de décrédibiliser toute dénonciation du racisme, c’est qu’elle repose sur une opposition fallacieuse entre l’universel et le communautaire. Le propos de Rost ne serait pas recevable parce qu’il serait subjectif, motivé par la volonté de défendre les “siens” au détriment des autres. Délicieux, n’est-ce pas ? Cinq hommes blancs autour de la table, une proximité évidente, un refus partagé d’évoquer la question raciale...mais c’est Rost qui apparaîtra, aux yeux du plus grand nombre, comme le "communautariste". Elle est pas belle la vie ?


3. « Vous parlez avec sincérité et émotion. »


Autre type d’opposition utilisée pour discréditer les propos de ceux qui dénoncent le racisme, celle qui consiste à placer le minoré - en l’occurrence ici le non-blanc - du côté de l’émotion, de l’affect, et à placer la parole dominante du côté de la raison. À plusieurs reprises durant l’émission, Pascal Praud rappellera à Rost « qu’il n’a pas raison » et que sa prise de position a beau être touchante car empreinte de « sincérité et émotion », elle n’en est pas moins irrecevable.
- « en l’espèce, vous n’avez pas raison et vous n’en savez rien. Vous allez chercher une explication qui est sans rapport avec les faits. »
- « Je comprends parce que votre histoire n’est pas la même que Jacques Vendroux donc je comprends que vous réagissiez avec sincérité comme Jacques Vendroux ne réagirait pas. Mais c’est pas parce que vous réagissez avec sincérité et émotion que vous avez raison. » (22’14)
Pour Pascal Praud, les propos de Rost semblent davantage relever du témoignage, d’une sorte de contribution subjective. En tant qu’homme noir, Rost ne peut pas avoir une position rationnelle, objective, claire, sur un sujet qui le concerne. Ce qui place Praud et ses acolytes du côté de la raison. C’est à eux, parce qu’ils sont blancs et donc neutres, d’établir et d’analyser le caractère raciste d’un fait.
Notons, une fois encore, l’ironie de la situation : c’est Pascal Praud, l’homme qui a littéralement disjoncté quand Rost a prononcé le mot “raciste”, qui explique à l’artiste qu’il réagit avec “émotion”. Par ailleurs, alors même que Jacques Vendroux a commencé son commentaire de l’affaire Evra en disant « je n’aime pas Patrice Evra, je ne l’aime pas, je ne l’ai jamais aimé de ma vie » (09’50), personne ne lui a reproché sa subjectivité.
Chaque détail compte.


4. « Sois gentil, sois gentil… tu mélanges tout. »


Que serait une discussion sur le racisme sans une dose de paternalisme ? La posture paternaliste - qui, sous ses airs de familiarité bienveillante, est une posture raciste - consiste à traiter les non-blancs en grands enfants. Ils ne savent pas vraiment ce qu’ils disent, ni ce qu’ils font, et c’est pour cette raison que leurs paroles et leurs actions doivent être mises sous tutelle, accompagnées, validées, mais aussi prises avec des pincettes. Sur le plateau de CNEWS, ce sont principalement Pascal Praud et Jacques Vendroux qui participent de cette infantilisation de Rost.
- « Rost, on est plutôt ami ? Bon...je vous aime beaucoup. Est-ce que vous entendez ce que je vous ai dit tout à l’heure ? » (14’56) tente de le raisonner Pascal Praud.
- « Rost, sois gentil, sois gentil, j’ai beaucoup de respect pour toi, sauf que tu mélanges tout ! Tu mélanges tout ! » lui dit le directeur des sports de Radio France (18’29).
Sans surprise, Rost est le seul invité de l’émission à avoir été traité de la sorte. Les prises de parole de tous les autres chroniqueurs ont été respectées, voire encouragées, même quand il s’agissait de marquer un désaccord avec la ligne Praud. À ce titre, il convient de souligner le rôle de ceux que l’on pourrait appeler les “traducteurs”. C’est, dans le cadre d’un débat sur le racisme, la mission que se donnent des “alliés” blancs qui estiment nécessaire d’expliciter, de reformuler et/ou de traduire, une pensée jugée confuse. Et ce, qu’ils y aient été invités par leurs interlocuteurs non-blancs ou pas. Évidemment, puisqu’elle est émise par des personnes bénéficiant d’une présomption d’objectivité et de compétences, la “traduction” n’est pas perçue et reçue de la même manière que les propos originaux. Là où la parole de Rost ne pouvait pas être fiable pour toutes les raisons évoquées précédemment, celle de Cyprien Cini (16’12) ou de Julien Pasquet apporte la crédibilité nécessaire. C’est assez intéressant d’ailleurs de voir comment Pascal Praud réagit à leurs interventions alors même qu’ils reconnaissent la validité de la thèse de Rost.
Toutes les personnes qui ont un jour entrepris de débattre sur le racisme ont été confrontés à ce type de réactions. Je me rappelle d’une conférence dans laquelle j’intervenais avec un journaliste blanc. Nous avions dressé exactement le même constat, l’avions inscrit dans la même Histoire et avions préconisé les mêmes changements. La seule différence ? J’ai eu le droit aux huées du public et à une bataille de sourcils froncés en guise de désaccord...alors que lui - qui, comble de l’ironie s’était contenté de “traduire” mon propos - a récolté tous les applaudissements. Quelle vie !


5. « C’est Najat qui le dit. »


Pris au dépourvu par les “traducteurs”, Pascal Praud va chercher du soutien sur...Twitter. Et quelle meilleure défense que l’utilisation d’une caution non-blanche pour lui donner raison ? En général, ce mécanisme de défense s’exprime par des phrases du type “moi, j’ai un ami noir qui dit le contraire” ou alors “mon voisin musulman n’est pas du tout d’accord avec toi”. Le but est simple : discréditer la parole dénonçant le racisme en la présentant comme minoritaire au sein même des “communautés” concernées. En gros, si un non-blanc dit “oui” et qu’un autre non-blanc dit “non”, le propos s’annule.
Cela est facilitée par la négation de l’individualité au coeur des processus de racisation. Rost n’est pas un individu à part entière, il est le représentant d’un groupe racial. Pour le contrer, il faut donc en appeler à un autre non-blanc qui représentera lui aussi son groupe racial et qui permettra à Pascal Praud de se dédouaner de tout racisme. Observez donc (16’30) la manière dont il utilise et présente le tweet d’une femme nommée Najat pour ce faire.


6. « Moi quand j’étais petit, on m’appelait le “petit gros”…bah j’en suis pas mort hein, franchement je suis pas traumatisé.  »


(28’09)
L’analogie trompeuse est l’une des autres techniques d’évitement utilisée par celles et ceux qui veulent minimiser ou occulter la question raciale. Elle est presque toujours centrée sur l’expérience de l’individu qui la développe. « Si j’ai vécu ça et que ça ne m’a rien fait, il n’y a pas raison pour que ce que tu vis te marque. » Au-delà de mettre sur le même plan des situations qui n’ont absolument rien à voir et dont les ressorts historiques, politiques, sociaux, économiques, etc, ne sont pas du tout comparables, ce genre de réaction révèle une incapacité à se décentrer et à donner du crédit à des expériences qui ne sont pas les nôtres. Jacques Vendroux ne dit pas autre chose quand il explique à Rost qu’il est le seul à avoir parlé de racisme et que personne autour de la table n’en a parlé (21’09). On se demande bien pourquoi.


7. « C’est tout sauf un martyr de la société. Faut arrêter de le faire passer pour une victime. »


Il était temps qu’elle fasse son entrée (20’50). Tadaaaaam : la rhétorique de la “victimisation”. C’est simple, à chaque fois que des minorisés osent dénoncer publiquement des expériences discriminatoires, et plus largement des systèmes de domination, ils sont renvoyés à une prétendue posture “victimaire”. L’objectif de silenciation et d’occultation du racisme comme fait social est ici manifeste. On voudrait que les non-blancs acceptent leur condition en silence, sans perturber les bénéficiaires du système raciste.
Ce qu’il y a d’ingénieux avec cette logique de “victimisation” c’est qu’en se nourrissant et en alimentant le sentiment de culpabilité des non-blancs, elle a réussi à s’imposer comme le repoussoir absolu. Personne ne veut être une victime, et si la preuve du “courage” doit passer par l’acceptation de la violence raciste, notamment dans ses formes les plus pernicieuses, alors ainsi soit-il. Autant dire que c’est un piège dont le seul but est le maintien d’un système de privilèges bénéficiant à la population majoritaire. Il s’agit de déplacer le débat sur le comportement et l’état d’esprit des dominés tout en invisibilisant les réalités et en tentant de museler les voix contestataires.
Si cette rhétorique prend autant, c’est qu’elle entretient la confusion entre l’analyse des impacts du racisme et les mécanismes de résistance mis en oeuvre par les non-blancs. En d’autres termes, évidemment que les non-blancs sont victimes du système raciste. Ce n’est pas se “victimiser” que de le dire, c’est poser les bases d’un constat objectif des conséquences sociales, économiques, politiques et psychologiques du racisme. Le racisme exclut, spolie, use, abuse, détruit, et tue ; par quel incroyable tour de magie pourrait-il ne pas faire de victimes ? Cela étant posé, lutter contre ce rapport social de domination, c’est tout mais alors tout sauf s’inscrire dans une logique victimaire. D’où la détermination et l’énergie déployées par les dominants pour faire taire ces voix.
Ce qui est marrant, dans cette séquence comme dans presque toutes les discussions sur le racisme, c’est qu’arrive toujours un moment où s’opère un subtil renversement de situation. Si les victimes du racisme sont enjointes au silence, à l’endurance, et que le droit à la “victimisation” leur est dénié, la fragilité des bénéficiaires du système raciste doit, elle, être prise en compte et respectée. Deux passages reflètent parfaitement bien cette asymétrie :
- 22’25 : Rost fait remarquer à Pascal Praud que le débat s’est envenimé quand il l’a “agressé”. Réponse de l’intéressé : « Ah non ! Ah Rost, ne dites pas ça ! Ah non ! Ah Rost, ne dites pas que je vous agresse... », épaulé par Jacques Vendroux qui ajoute « ah non, faut pas dire ça ». Bah non, faut pas dire ça. C’est pourtant simple : eux ont le droit de dire ce qu’ils veulent et il faut l’accepter mais ce n’est pas réciproque.
- 35’59 : Rost indique qu’il n’aime pas "la malhonnêteté intellectuelle". Pascal Praud lui rétorque alors "Ah non ! Ne me faites pas ce procès-là, vous êtes gonflé !" LOL.
- 36’21 : alors même que personne autour de la table n’a porté une telle accusation, Jacques Vendroux - visiblement agacé - lance à Rost « c’est tout juste si tu ne nous as pas traités de racistes... » ; Pascal Praud plussoie « c’est pas tout à fait faux ce que dit Jacques Vendroux hein... », puis le directeur des sports de Radio France de renchérir (41’38), non sans une certaine émotion, « ma mère, qui a essayé de me donner une éducation à peu près correcte, vient d’apprendre par l’intermédiaire d’une télévision que je suis raciste ! Non mais vous vous rendez compte ? » Pauvres petits bichons !
Mais rassurez-vous, grâce aux bons mots de son ami Fabien Onteniente, Jacques Vendroux a vite retrouvé le sourire ! Bah oui, quoi de mieux qu’une blague pour oublier ses peines ! À la 42e minute, le réalisateur de Camping invite ainsi Vendroux à se « faire la même coupe de cheveux » pour rendre hommage à Rost et apaiser les tensions. Rires des intéressés.
Il y aurait encore tant à dire sur la violence de cet épisode, sur le dispositif médiatique qui l’a favorisée et sur le rôle de ces journalistes qui, à l’instar de Pascal Praud, agissent comme les chiens de garde du système. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de la spécificité du traitement médiatique réservé aux non-blancs et des stratégies d’évitement systématiquement mises en place pour éviter les débats sur le racisme.



Sihame Assbague / mardi 7 novembre 2017 / Analyses  / Médias  / Racisme