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jeudi 29 janvier 2015

France Kafka ou France hystérique !

L'écrivain Mabrouck Rachedi s'imagine dans la tête de l'élève de CE2 qui a été convoqué par la police après sa réaction aux attentats. L'enfant avait perturbé la minute de silence. 


Je m'appelle Ahmed. J'ai 8 ans. Y a beaucoup de bruit autour de moi. Des gens qui m'expliquent - non qui m'engueulent. Ils disent que j'ai fait une connerie. J'ai dit que j'étais avec les terroristes quand la maîtresse m'a demandé si j'étais avec Charlie. Moi j'aime bien déconner. Ca fait rire les copains. La dernière fois, j'ai blagué que j'étais Superman, et puis une autre fois, je me suis moqué des chicots dégueus du gros Bouboule. La maîtresse m'a dit que c'était mal, je me suis excusé et ça s'est arrêté là. Pour cette vanne sur Charlie qu'a même pas fait rire les copains, on m'envoie en "audition libre" devant un "officier de police judiciaire" pour "apologie du terrorisme".
Je comprends rien à ce qui m'arrive mais j'apprends plein de mots nouveaux. Ca va faire plaisir à la maîtresse qui dit que je manque de vocabulaire. Les copains, y vont être verts quand y verront que je connais plus qu'eux. Mais bon, on me laisse pas aller à l'école. C'est comme ça que j'apprendrai, il paraît. Apprendre quoi ? Y me disent pas. Ma soeur, elle a connu Les souffrances du jeune Werther en regardant Violetta. Moi, je fais mon éducation au commissariat. Je répète: c'est comme ça que j'apprendrai, il paraît.

 

Aimer cette France où je "comparais en audition libre"?

 

Les grands, ils me disent rien. Enfin si, ils crient, ils ordonnent mais ils expliquent rien. Ils me disent "faut respecter les morts", "faut arrêter les conneries". Ils me disent jamais pourquoi ce que j'ai fait, c'est mal. Ils me disent qu'il faut que je m'explique mais eux, ils s'expliquent jamais. Ils m'expliquent jamais.
Y me disent aussi "faut aimer la France". Cette France où un directeur d'école porte plainte contre un élève de CE2? Cette France où je comparais en "audition libre"? (tu vois que j'ai appris un nouveau mot de vocabulaire, elle va être contente la maîtresse) J'avoue, j'ai un peu de mal à l'aimer cette France aujourd'hui. Elle sent encore plus mauvais que l'haleine du gros Bouboule, cette France qui voit en moi un djihadiste en puissance. Hé les grands, j'ai 8 ans. Vous dites que je déconne mais vous déconnez pas un peu en ce moment ?

 

J'aime bien faire rire les copains tu sais

 

Du coup, je comprends rien. Y a du bruit autour de moi. Mais y a pas de mots pour expliquer. Je te jure, je savais pas ce que c'était le terrorisme. La maîtresse, elle dit que je manque de vocabulaire. Je sais, je me répète beaucoup mais c'est au cas où t'aurais pas compris. On me demande beaucoup de me répéter au commissariat. Tu vas rire mais je croyais que le terrorisme, c'était l'haleine du gros Bouboule qu'a les chicots tout dégueus. La semaine dernière, la maîtresse m'a appris ce que c'est la ciboulette. Moi je croyais qu'elle avait dit "boulette" et les copains y se sont marrés alors j'ai continué à dire "boulette" au lieu de "ciboulette". Moi j'aime bien faire rire les copains, tu sais.
La maîtresse, elle m'a toujours expliqué (à une époque où on m'expliquait) qu'il fallait s'excuser et qu'on était alors pardonné. Elle dit que l'erreur est humaine, le pardon est divin. Tu vois que je l'écoute, des fois, la maîtresse. Je te jure, je me suis excusé mais le directeur, il a pas été divin. Il m'a cafté, enfin il m'a signalé comme y disent chez les grands. Papa, il a été divin. C'est lui qui m'a dit de m'excuser. Il m'a expliqué. Le seul qui m'a expliqué. Maintenant il a des problèmes, on lui dit que c'est de sa faute si j'ai dit une connerie. Moi j'ai peur de la logique des grands: eux qui croivent que je vais apprendre sans qu'y m'expliquent, ils vont peut-être croire que je serai mieux sans papa. Pardon, j'ai dit "ils croivent". La maîtresse, elle dit que c'est une connerie et ça fait rire les autres. Je m'excuse. Enfin, je te prie de m'excuser. La maîtresse, elle dit qu'on s'excuse pas, qu'on présente s'excuse et que c'est à l'autre de les accepter ou pas. Je comprends mieux maintenant. La France, elle accepte pas les excuses d'un gamin de 8 ans qu'a dit une connerie.

 

Tu crois que Charlie, il est d'accord avec ce qui m'arrive?

 

Je m'appelle Ahmed. J'ai 8 ans. J'aime pas Charlie. A cause de lui, je suis allé au commissariat. Tu crois que Charlie, il est d'accord avec ce qui m'arrive ? Si c'est le cas, on m'a menti sur lui. On m'a dit qu'il était un peu comme moi, qu'il aimait bien faire rire les copains en disant des conneries.
Je m'appelle Ahmed. J'ai 8 ans. Je vous jure, je savais pas ce que c'était le terrorisme. Maintenant, je comprends mieux. Je me demande si le terrorisme c'est pas ce qu'on est en train de me faire en ce moment. "

Tribune à retrouver sur le site de l'Express ici.
Mabrouck Rachedi est un écrivain français né en banlieue parisienne en 1976. Auteur de quatre livres, Le Poids d'une âme (éditions Lattès, roman, 2006), Éloge du miséreux (éditions Michalon, essai, 2007) et Le petit Malik (éditions Lattès, roman, 2008), "La petite Malika" (éditions Lattès, 2010, coécrit avec Habiba Mahany)

jeudi 15 janvier 2015

« Lettre à ma fille, au lendemain du 11 janvier 2015 », par JMG Le Clézio

Tu as choisi de participer à la grande manifestation contre les attentats terroristes. Je suis heureux pour toi que tu aies pu être présente dans les rangs de tous ceux qui marchaient contre le crime et contre la violence aveugle des fanatiques. J’aurais aimé être avec toi, mais j’étais loin, et pour tout dire je me sens un peu vieux pour participer à un mouvement où il y a tant de monde. Tu es revenue enthousiasmée par la sincérité et la détermination des manifestants, beaucoup de jeunes et des moins ­jeunes, certains familiers de Charlie Hebdo, d’autres qui ne le connaissaient que par ouï-dire, tous indignés par la lâcheté des attentats. Tu as été touchée par la présence très digne, en tête de cortège, des familles des victimes.

Emue d’apercevoir en passant un petit enfant d’origine africaine qui regardait du haut d’un balcon dont la rambarde était plus haute que lui. Je crois en effet que cela a été un moment fort dans l’histoire du peuple français tout entier, que certains ­intellectuels désabusés voudraient croire frileux et pessimiste, condamné à la soumission et à l’apathie. Je pense que cette journée aura fait reculer le spectre de la discorde qui menace notre société plurielle.

Il ­fallait du courage pour marcher désarmés dans les rues de Paris et d’ailleurs, car si parfaite soit l’organisation des forces de police, le risque d’un attentat était bien réel. Tes parents ont tremblé pour toi, mais c’est toi qui avais raison de braver le danger. Et puis il y a toujours quelque chose de miraculeux dans un tel moment, qui réunit tant de gens divers, venus de tous les coins du monde, peut-être justement dans le regard de cet enfant que tu as vu à son balcon, pas plus haut que la rambarde, et qui s’en souviendra toute sa vie.

Cela s’est passé, tu en as été témoin.

Ils ne sont pas des barbares

Maintenant il importe de ne pas oublier. Il importe – et cela revient aux gens de ta génération, car la nôtre n’a pas su, ou n’a pas pu, empêcher les crimes racistes et les dérives sectaires – d’agir pour que le monde dans lequel tu vas continuer à vivre soit meilleur que le nôtre. C’est une entreprise très difficile, presque insurmontable. C’est une entreprise de partage et d’échange.

J’entends dire qu’il s’agit d’une guerre. Sans doute, l’esprit du mal est présent partout, et il suffit d’un peu de vent pour qu’il se propage et consume tout autour de lui. Mais c’est une autre guerre dont il sera question, tu le comprends : une guerre contre l’injustice, contre l’abandon de certains jeunes, contre l’oubli tactique dans lequel on tient une partie de la population (en France, mais aussi dans le monde), en ne partageant pas avec elle les bienfaits de la culture et les chances de la réussite sociale.

Trois assassins, nés et grandis en France, ont horrifié le monde par la barbarie de leur crime. Mais ils ne sont pas des barbares. Ils sont tels qu’on peut en croiser tous les jours, à chaque instant, au lycée, dans le métro, dans la vie quotidienne. A un certain point de leur vie, ils ont basculé dans la délinquance, parce qu’ils ont eu de mauvaises fréquentations, parce qu’ils ont été mis en échec à l’école, parce que la vie autour d’eux ne leur offrait rien qu’un monde fermé où ils n’avaient pas leur place, croyaient-ils. A un certain point, ils n’ont plus été maîtres de leur destin. Le premier souffle de vengeance qui passe les a embrasés, et ils ont pris pour de la religion ce qui n’était que de l’aliénation. 

Il faut remédier à la misère des esprits

C’est cette descente aux enfers qu’il faut arrêter, sinon cette marche collective ne sera qu’un moment, ne changera rien. Rien ne se fera sans la participation de tous. Il faut briser les ghettos, ouvrir les portes, donner à chaque habitant de ce pays sa chance, entendre sa voix, apprendre de lui autant qu’il apprend des autres. Il faut cesser de laisser se construire une étrangeté à l’intérieur de la nation. Il faut remédier à la misère des esprits pour guérir la maladie qui ronge les bases de notre société démocratique.

Je pense que c’est ce sentiment qui a dû te frapper, quand tu marchais au milieu de cette immense foule. ­Pendant cet instant miraculeux, les barrières des classes et des origines, les différences des croyances, les murs séparant les êtres n’existaient plus. Il n’y avait qu’un seul peuple de France, multiple et unique, divers et battant d’un même cœur. J’espère que, de ce jour, tous ceux, toutes ­celles qui étaient avec toi continueront de marcher dans leur tête, dans leur esprit, et qu’après eux leurs enfants et leurs petits-enfants continueront cette marche.



Jean-Marie Gustave Le Clézio, né le 13 avril 1940 à Nice, est un écrivain de langue française, de nationalités française et mauricienne.

Distinctions
Renaudot en 1963
Paul-Morand en 1980
Nobel en 2008


Oeuvres principales

Le Procès-verbal (1963)
Le Déluge (1966)
Désert (1980)
Mondo et autres histoires (1978)
Les Géants (1973)
Ritournelle de la faim (2008)

vendredi 2 janvier 2015

L'ANCOLS remplace désormais l'ANPEEC et la MIILOS

Au 1er janvier 2015 l'ANPEEC Agence Nationale pour la Participation des Employeurs à l’Effort de Construction et la MIILOSMission interministérielle d’inspection du logement social fusionnent et donnent naissance à l'ANCOLS, Agence Nationale de Contrôle du Logement Social.



Cette nouvelle agence aura pour missions de :

  • contrôler, de manière individuelle et thématique, l’ensemble des acteurs du secteur, notamment les groupes HLM et les groupes constitués autour des Comités interprofessionnels du logement (CIL),
  • évaluer l’efficacité avec laquelle s’acquittent ces acteurs de la mission d’intérêt général qui leur est confiée, en réalisant des études transversales ou ciblées,
  • gérer les suites données à ces contrôles, le cas échéant par des mises en demeure assorties d’astreintes financières et par la proposition de sanctions administratives,
  • assurer la production annuelle de données statistiques et financières relatives à la participation des employeurs à l’effort de construction (PEEC).


L'ANCOLS exercera ces missions sur :

  • les organismes de logement social, et de façon plus générale sur toute personne physique ou morale exerçant des activités de construction ou de gestion de logements locatifs sociaux,
  • les organismes appartenant au réseau Action Logement (ex 1% Logement).


Les rapports d’évaluation et de contrôle réalisés par l’ANCOLS seront rendus publics sur son site Internet.