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samedi 18 février 2017

Monique Pinçon-Charlot : "Fillon et les bourgeois sont sur une autre planète"

Invitée d'Arrêt sur images pour donner son regard de sociologue sur le #FillonGate, la spécialiste des riches et directrice de recherche au CNRS à la retraite Monique Pinçon-Charlot a mobilisé une lecture de classe pour donner des clés de compréhension du scandale.




Elle explique que la bourgeoisie, classe sociale qui a conscience d'elle-même et qui se mobilise pour la défense de ses intérêts, ne peut pas comprendre l'émoi provoqué par son népotisme et son accaparement des richesses. Occupant tous les postes de pouvoir, cette oligarchie serre les rangs et estime que ces comportements moralement réprouvés par la majorité des citoyens et peut-être même bientôt punis par la justice sont normaux, puisqu'ils sont habituels et permettent sa reproduction sociale. 

Ces gens là grandissent et vivent tout le temps entre eux dans un entre soi de classe absolument permanent. Vous savez qu'à l'Assemblée nationale il y a très peu de représentants des ouvriers et des employés. Pour ne pas dire pas du tout. 
Que ce soit dans les cercles, que ce soit dans sa société de conseil, que ce soit dans les remises de légions d'honneurs, ils sont toujours entre eux dans une consanguinité sociale de tous les instants, qui fait qu'ils se sentent impunis. Il y a une impunité de classe qui est extrêmement forte. Ils se croient véritablement les meilleurs. 
Il y a une phrase de Paul Nizan* que j'ai mémorisé dans "Les chiens de garde", écrit en 1932, qui est tout à fait révélatrice, qui colle très bien comme exergue pour l'histoire de Fillon : "La bourgeoisie travaille pour elle seule, elle exploite pour elle seule, elle massacre pour elle seule. Mais elle doit faire croire qu'elle travaille, qu'elle exploite et qu'elle massacre pour le bien final de l'humanité. Mais elle doit faire croire qu'elle est juste ... et elle même doit le croireC'est ça qui est important, cette chute :"Et elle même doit le croire". 
[...] Il faut vous rendre compte que la classe politique est tellement dissociée, déconnectéedu peuple, que le mensonge est devenu une manière de gouverner aujourd'hui au plus haut sommet de l'état. 
[...] Comment est-ce qu'ils vivent leurs électeurs ? Comment est-ce que ces grands bourgeois vivent le reste de la société, il y a des processus de déshumanisation de mépris de l'autre dissemblable, qui sont extrêmement forts, c'est une instrumentalisation de leurs électeurs. 
Ce qu'ils cherchent c'est des voix. On a vu Fillon instrumentaliser la religion catholique, ils sont sans cesse en train d'instrumentaliser pour le bénéfice de leur prédation, pour le bénéfice de leurs privilèges, pour le bénéfice de leur pouvoir. 
Ce qu'il faut vous mettre dans la tête, c'est qu'on a pas la même tête. Ils pensent de manière différente de nous, ils utilisent des mots différents de nous, ils sont sur une autre planète et c'est très difficile, nous qui avons des valeurs d'égalité, de partage, qui avons des valeurs morales très fortes, eux non, c'est pour ça que je reviens à cette phrase de Paul Nizan, qui est essentielle. 
Il faut comprendre le fonctionnement de classe d'une oligarchie qui s'accaparent toutes les richesses et tous les pouvoirs.


Monique Pinçon-Charlot, née le 15 mai 1946 à Saint-Étienne, est une sociologue, directrice de recherche au CNRS jusqu'en 2007, année de son départ à la retraite, rattachée à l'Institut de recherche sur les sociétés contemporaines (IRESCO).

* Paul-Yves Nizan (1905-1940) est un romancier, philosophe, et journaliste français.

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