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jeudi 7 novembre 2013

Il y a 100 ans naissait Albert Camus ...

Albert Camus, un centenaire très discret

(Sarah Leduc France24)

Albert Camus aurait eu 100 ans ce 7 novembre. S’il est l’un des écrivains français les plus lus et les plus traduits, aucune célébration officielle n’est organisée en France. L’auteur de "l’Étranger" continue de susciter la polémique.



"Aujourd'hui maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas". "L’Étranger" livre ses premiers mots, nous plongeant dans l’absurdité d’un monde tendrement indifférent tandis qu’Albert Camus entre avec ce roman, écrit à 29 ans, dans le prestigieux panthéon de la littérature française. Il y a cent ans Camus est né, on le sait. Et il n’est un étranger pour personne ou presque. Prix Nobel de littérature à 44 ans seulement, il est probablement l’un des auteurs français les plus lus en France et les plus traduits dans le monde.
Pourtant, pas de commémoration officielle en France, pas d’hommage national en cette journée anniversaire pour l’auteur de "L’Homme révolté", "La Peste" ou le "Mythe de Sisyphe". Tandis que son centenaire a donné lieu à des célébrations aux quatre coins du globe – Inde, Jordanie, Mexique, Argentine, Chili – l'Hexagone le boude.

L’Algérie au cœur du débat
Le Centre George Pompidou et la Bibliothèque nationale ont refusé d’accueillir toute manifestation. Et la grande exposition hommage "Albert Camus: l'homme révolté", qui devait être un événement phare de Marseille-Provence Capitale européenne de la Culture 2013 (MP 2013), a finalement été annulée après trois ans d’intrigues politico-culturelles et de rebondissements. Suite à l'éviction de l'historien Benjamin Stora et l'abandon du philosophe Michel Onfray, le Nobel doit se contenter d’une exposition moins ambitieuse "Albert Camus, citoyen du monde", confiée finalement à un collectif de scientifiques, historiens et philosophes.
Cette annulation est symbolique du "malaise" Camus. La ville d'Aix-en-Provence s'est heurtée à une polémique autour des positions de l'écrivain pendant la guerre d'Algérie, où l'écrivain est né le 7 novembre 1913. Albert Camus a toujours refusé l’idée d’une Algérie indépendante, pensant que l’ère des nationalismes était révolue. Il dénonçait pourtant l'injustice faite aux musulmans, comme la caricature du pied noir exploiteur ; disait souhaiter la fin du système colonial mais avec une Algérie toujours française.
Contradictoire pour le profane, Benjamin Stora, historien spécialiste de la guerre d'Algérie, éclaire la position polémique de l’auteur dans un billet publié sur le Huffington Post (cf ci-dessous): "Il [Camus] ne sera pas un "indépendantiste" pour l'Algérie, parce que refusant le sort pouvant être refusé aux siens. (…) Pour autant, il ne franchit pas le Rubicon et refusera l'indépendance donc, la séparation. Il fait l'effort de la traversée pour jeter des ponts, non pour séparer. (…) Mais avec la guerre d'Algérie, l'histoire s'accélère, l'urgence politique entre en contradiction avec l'élan de Camus vers la compréhension réciproque, la réconciliation."



"Un petit penseur poli"
Déjà de son vivant, il soulevait les passions. Sa courte existence, achevée en 1960 dans un accident de voiture, aura été émaillée de fougueuses amours et intarissables haines. Celui qui aurait voulu lutter contre toute forme de violence et défendait la coexistence pacifique en a payé les frais : beaucoup de ses contemporains lui reprochaient d’être "un petit penseur poli".
Au premier rang de ses adversaires, Sartre et "Les Temps modernes". En 1957, quand Camus reçoit le Nobel, devenant ainsi le plus jeune lauréat français de la prestigieuse récompense, il est plus que jamais détesté et moqué. Lorsqu'il l'apprend, Sartre – qui refusera le prix quelques années plus tard - le tance d’un "C’est bien fait !" François Mauriac pique et touche, écrivant sur Camus : "Ce Sisyphe ne roulait pas son rocher. Il grimpait dessus et, de là, piquait une tête dans la mer..."
Aujourd’hui, Camus continue de  susciter passion et polémiques, "essentiellement quant à son rapport à l'Algérie", selon Benjamin Stora, interviewé dans les colonnes du Figaro : "Certains en Algérie ne lui pardonnent pas d'avoir pensé que celle-ci pouvait rester fédérée à la France. (…) Et puis on reproche aussi à Camus d'avoir été lucide avant tout le monde sur l'échec des grandes idéologies collectives révolutionnaires. Ceux qui se sentent orphelins de ces idéologies lui en veulent sans doute".

Irrécupérable Camus
Difficile donc de récupérer Albert Camus. Et pourtant beaucoup ont tenté de se réapproprier l’homme libre. Nicolas Sarkozy a tenté, en vain, en 2010, de faire transférer sa dépouille du cimetière de Lourmarin, en Provence, au Panthéon laïc des grands hommes à ParisSes enfants s’y sont opposés, craignant "une récupération politique", selon le fils, Jean Camus. Une panthéonisation posait la question du consensus. Il n’a jamais été trouvé.
Aurélie Philipetti se déplacera vendredi 8 novembre à Lourmarin où l’auteur est toujours enterré, donc. Interrogé par l’AFP, cette fine connaisseuse de l’auteur estime "que ce qui est beau chez Camus pour les jeunes générations, c'est quelque chose qui peut être appliqué à soi-même et en même temps donner un élan collectif." C’est justement l’élan collectif qui manque ici.


Pour aller plus loin


Camus aujourd'hui  par Benjamin Stora
(Huffington Post 21/03/2013)

L'œuvre, l'itinéraire d'Albert Camus sont revenus en force sur le devant de la scène culturelle et politique. Et la sortie en salles du film de Gianni Amélio, adapté du livre de Camus, Le Premier homme, participe de ce mouvement général. Pourquoi, aujourd'hui, avons-nous encore tant besoin de Camus ?

De sa naissance à Mondovi dans le Constantinois en 1913, jusqu'à l'accident qui, en janvier 1960 jeta contre un arbre la Facel-Vega qui le transportait et le tua sur le coup, la vie d'Albert Camus, traversée par de longues vagues qui le portent et l'épuisent, nous intrigue, nous passionne toujours. Il y a ses liens et ses rapports conflictuels avec le communisme, et sa littérature si forte, célèbre, émouvante ; ses engagements en faveur de l'Espagne républicaine, et sa passion pour le théâtre. Camus nous intéresse encore par son refus du stalinisme, des dogmes qui enferment et appauvrissent la pensée. Et aussi, par son déchirement entre la fidélité à ses origines et le respect des principes d'égalité. Avec au centre de ses pensées, l'Algérie, sa terre natale, dont le destin le bousculera, de l'enthousiasme au désespoir.
Le Premier homme nous raconte cela. Camus évoque son univers si particulier. Sa mère, analphabète, commotionnée par la mort de son mari en 1914, a du mal à parler, s'exprimer. Sa famille vit pauvrement dans un étroit logement de Belcourt, quartier populaire à l'est d'Alger. Nous voilà encore loin de "l'assimilation" à la France, le rêve républicain d'Albert Camus. Le petit peuple des Français d'Algérie ne mêle pas profondément aux "Arabes", même si l'on se croise, se parle au marché, si l'on s'invite pour les fêtes. Même pauvres, les Européens d'Algérie ont accès à l'école communale. Dans la classe du cours moyen où Camus étudie sous la conduite de l'instituteur Germain (qui déterminera toute son existence), il y a trente-trois élèves, dont trois Algériens. En observant ces derniers, Camus apprend à distinguer la pauvreté qui est celle des Européens, et la misère que subissent les "indigènes". Mais pauvres ou miséreux, tous étaient des prolétaires et Camus ne les sépare pas. Il ne considérera jamais sa famille comme des "colons". Il se construit une vision personnelle et pragmatique de l'univers de la colonisation en Algérie. Elle lui valut des inimitiés violentes...
Il ne sera donc pas un "indépendantiste" pour l'Algérie, parce que refusant le sort pouvant être refusé aux siens. Il écrit sur la misère de la Kabylie dans le journal Alger Républicain. Pour autant, il ne franchit pas le Rubicon et refusera l'indépendance donc, la séparation. Il fait l'effort de la traversée pour jeter des ponts, non pour séparer. C'est un homme de passerelles, il n'est pas un éradicateur, attaché à une histoire méditerranéenne commune, faite de strates mêlées d'influences européennes et algériennes. Mais avec la guerre d'Algérie, l'histoire s'accélère, l'urgence politique entre en contradiction avec l'élan de Camus vers la compréhension réciproque, la réconciliation. À partir de ce moment-là, une angoisse s'installe en lui, celle de la perte de l'histoire des siens. Est-ce la raison pour laquelle il écrit Le Premier Homme, son plus grand livre, pour garder une trace de ce monde qui va disparaître ?
Camus nous intéresse aujourd'hui encore, par son effort de réconciliation des mémoires qui restent fermées les unes aux autres, dans un mélange de méfiance, de sentiment de spoliation et de refus de chacun de reconnaître ses torts. La figure de Camus peut aujourd'hui incarner d'une manière ou d'une autre ce souhait de réconciliation entre Français et Algériens.
Camus a toujours été d'une grande honnêteté intellectuelle. Il voulait transmettre, s'expliquer. Quand il ne savait plus, il s'est tu, a adopté le silence - un silence public, car il continuait d'écrire énormément de lettres et de notes. Mais historiquement, sa position dans une guerre cruelle est restée dans un entre-deux problématique. Pour cette raison, il s'est retrouvé écartelé entre des récupérations dénaturant totalement sa volonté de réconciliation.
Au-delà des polémiques qu'il suscite (en particulier sur son refus de la violence révolutionnaire), Camus reste toujours un personnage insaisissable, à l'écart parce que lui-même refusait d'être enfermé dans des catégories politiques rigides. Cette position singulière, d'étrangeté parle à la jeunesse actuelle. Nullement parce qu'il est mort à 47 ans. À cet âge-là, un peuple d'écrivains, de musiciens, de peintres, d'artistes de Van Gogh à Schubert avaient donné une œuvre parvenue à maturité. Mais Camus a quelque chose de particulier pour les jeunes. Il procède par vives découvertes suivies d'une réaction presque toujours généreuse, et des générations de lycéens, d'étudiants, ne cessent pas de s'y reconnaître et d'en être bouleversés, éveillés, révélés à eux-mêmes. La brusque mort de ce personnage célèbre renforce ce sentiment d'inachèvement, de dernier mot jamais dit, le tout fixé dans l'image très romantique d'un homme encore jeune. C'était enfin un méditerranéen avec tout ce que cela implique : aimant et aimé des femmes, solaire, émouvant, charnel. Et c'est pourquoi, l'on est si tenté de vouloir lui ressembler aujourd'hui encore.

et Camus raconté par ses proches 

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